POLITIQUE
Les relations Azerbaïdjan-Russie revêtent un caractère de partenariat stratégique VIDEO
Interview du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, à l’Agence de presse nationale d’Azerbaïdjan (AZERTAC)
Journaliste : Comment évalueriez-vous le niveau actuel des relations bilatérales Russie-Azerbaïdjan et leurs perspectives d’approfondissement ?
V. Poutine : Les relations entre la Russie et l’Azerbaïdjan revêtent un caractère de partenariat stratégique. Ces relations se basent sur les anciennes traditions d’amitié et de bon voisinage, l’égalité des droits, le respect des intérêts de l’un de l’autre, l’histoire et la culture communes, les destins entrelacés des millions de personnes.
Les relations entre les chefs d’Etat, les gouvernements et les parlements des deux pays s’appuyant sur la confiance mutuelle se développent sur une telle base solide. La coopération mutuellement bénéfique dans les sphères commercio-économiques, des investissements, de l’énergie, dans les secteurs de l’infrastructure de transport, automobile et de la santé s’approfondit.
Je tiens à noter le fait que la coopération entre nos régions a atteint un niveau très élevé. A présent, 17 entités de la Fédération de Russie mettent en œuvre avec leurs partenaires azerbaïdjanais des accords de coopération dans les secteurs commercio-économique, technico-scientifique et culturel. Les entreprises de plus de 70 régions de la Russie entretiennent des liens commerciaux avec votre pays.
Nous travaillons en étroite collaboration dans le Caucase du Sud dans le cadre de la CEI et des principales institutions internationales. On voit un potentiel considérable pour l’élargissement de la coopération en mer Caspienne – premièrement, Caspian Five, qui comprend la Russie, l’Azerbaïdjan, l’Iran, le Kazakhstan et le Turkménistan et le partenariat trilatéral qui est en train d’être formé en présence de l’Iran. Les relations humanitaires jouent un rôle clé dans le renforcement des liens d’amitié et de bon voisinage. Par exemple, je peux souligner que le dynamisme des relations dans le domaine éducatif ne cesse d’augmenter. Actuellement, environ 15 mille étudiants azerbaïdjanais font leurs études en Russie et les filiales des universités russes fonctionnent avec succès en Azerbaïdjan.
Notre projet conjoint – le Forum humanitaire international de Bakou qui se tient sous les auspices des présidents russe et azerbaïdjanais, démontre son importance pour la discussion des problèmes actuels de l’ère moderne et qu’on a besoin de lui. Depuis 2011 - pendant une période relativement courte, ce forum est devenu un événement important de la vie publique régionale et internationale. Pour l’instant, nous nous préparons avec nos homologues azerbaïdjanais à la 5e édition de ce forum qui se tiendra en septembre prochain.
Je suis certain que le développement durable des relations russo-azerbaïdjanaises revêt une importance particulière pour maintenir la stabilité et la sécurité, soutenir la paix et la compréhension mutuelle dans le Caucase du Sud, ainsi que réalisation des intérêts fondamentaux des deux nations.
Journaliste : La crise mondiale a aussi eu un impact sur le volume des échanges entre la Russie et l’Azerbaïdjan, a conduit à la récession. Vous l’avez souligné pendant la rencontre avec le président Ilham Aliyev à Saint-Pétersbourg en juin dernier. Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour stimuler la coopération économique des deux pays, à savoir l’augmentation du chiffre d’affaires et la coopération industrielle, les investissements réciproques.
V. Poutine : La conjoncture défavorable et complexe de l’économie mondiale a vraiment influencé sur nos relations d’affaires. Cependant, l’Azerbaïdjan prend la cinquième place, derrière la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Ukraine et l’Ouzbékistan, dans le commerce étranger de la Russie avec les pays de la CEI. Quant à la Russie, elle est leader dans l’importation des produits azerbaïdjanais.
Selon le Service fédéral des douanes, en 2015, le chiffre d’affaires entre la Russie et l’Azerbaïdjan a été estimé à 2,8 milliards de dollars en réduction de 30% par rapport à 2014 (4 milliards de dollars). Cette année, on n’a pas encore pu inverser la courbe : selon le bilan des mois janvier-mai, le chiffre d’affaires mutuel a constitué 568,5 millions de dollars, soit 52,8 % moins que la même période de 2015.
On pense que la croissance des ventes des produits agricoles de l’Azerbaïdjan dont notre marché a besoin, et aussi de l’exportation des engrais et du matériel agricole vers l’Azerbaïdjan en vue d’étendre les superficies plantées jouerait un rôle clé dans l’élargissement du commerce réciproque.
On espère que les plans sur l’envoi des rames et des wagons à l’Azerbaïdjan par Uralvagonzavod, la construction et la livraison de deux tankers pour la Société azerbaïdjanaise de transport maritime de la mer Caspienne, l’organisation de la fabrication des produits pharmaceutiques avec la participation du groupe de compagnies russe R-Farm seront pleinement réalisés.
L’expansion du commerce réciproque dans les secteurs des transports, des finances, de l’assurance, des télécommunications de la culture et des loisirs pourrait être un autre aspect important du développement des relations commercio-économiques. À l’heure actuelle, ces secteurs ajoutent environ 20%, soit 0,5 milliards de dollars aux indicateurs du chiffre d’affaires.
Compte tenu de la connexion des chemins de fer de l’Azerbaïdjan et de l’Iran dans le cadre du Corridor de transport international Nord-Sud, de nouvelles perspectives s’ouvrent à l’utilisation complète du potentiel de transit de la Russie et de l’Azerbaïdjan.
Nous jugeons nécessaire le développement de l’activité mutuelle entre les milieux d’affaires des deux pays dans le cadre du Conseil d’affaire Russie-Azerbaïdjan organisée au sein de la Chambre du Commerce et de l’Industrie de Russie. On espère la création d’une institution similaire en Azerbaïdjan.
Sur fond de réduction du chiffre d’affaires, la coopération de nos Etats dans le domaine des investissements se développe de façon stable. Environ 600 entreprises russes, y compris 200 sociétés fonctionnant grâce au capital russe opèrent dans le marché azerbaïdjanais. Dans le même temps, les investissements directs de la Russie en Azerbaïdjan sont d’environ 1,4 milliards de dollars.
Nous continuons à travailler sur la création d'un environnement favorable pour que les entreprises de nos pays effectuent en monnaies nationales leurs interactions qui sont actuellement faites en dollars.
Sans aucun doute, l'évolution négative actuelle dans les relations commercio-économiques bilatérales est temporaire. Nous sommes convaincus qu'en travaillant ensemble et en étroite coopération, nous parviendrons à faire passer les échanges mutuels sur le chemin de la croissance durable.
Journaliste : Une nouvelle configuration d’intégration - le format de coopération régionale Azerbaïdjan-Iran-Russie est en train d’être formée. Le projet de corridor de transport Nord-Sud est considéré comme le noyau de cette coopération trilatérale. A votre avis, les projets dans quels autres domaines permettraient d'assurer la viabilité et l'efficacité de la coopération entre ces trois pays ? Les relations au niveau trilatéral peuvent-elles aider à éliminer certaines contradictions, par exemple, la division de la mer Caspienne, l’utilisation de ses ressources énergétiques et biologiques ?
V. Poutine : A l’initiative du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev fils d’Heydar, nous nous réunirons, le 8 août à Bakou, pour la première fois au niveau de trois chefs d’Etat pour discuter des perspectives de la coopération à long terme mutuellement bénéfique dans divers domaines; de l'économie et des liens humanitaires aux questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
Le projet de corridor de transport international Nord-Sud, long de 7200 km, sera au cœur de nos négociations. Ce corridor aura pour but d'offrir les meilleures opportunités possibles pour le transport de marchandises en transit entre l'Inde, l'Iran et les pays du Golfe d'une part, et l'Azerbaïdjan, la Russie d'autre part et plus loin encore, l'Europe du Nord et de l'Ouest.
Je constate qu’à la fin de 2015, le volume du transport de marchandises sur le corridor de transport international Nord - Sud avec la participation de la SAO «Chemins de fer de Russie» a été de 7,3 millions de tonnes, ce qui est 4,1 %, soit 0,3 million de tonnes au-dessus du niveau en 2014.
La mise en œuvre des projets d’investissements stratégiques dans les secteurs de l’énergie, de l’infrastructure de transport sont d’autres domaines prometteurs de la coopération mutuelle. İl existe de bonnes opportunités pour l’élargissement du commerce des services dans les secteurs du tourisme, de la santé et de l’éducation.
Il est évident que la Caspienne fera partie du dialogue trilatéral. Comme on le sait, ces dernières années, les pays du bassin Caspien ont enregistré des progrès significatifs dans la coordination des questions concernant différents aspects de la coopération en mer Caspienne, y compris l’utilisation des ressources énergétiques et biologiques. Des accords pertinents ont été conclus, ils sont mis en œuvre avec succès. Les travaux sur la convention de base concernant le statut juridique de la mer Caspienne sont sur le point de s’achever.
Journaliste : Après la prise de décision sur la régulation de la situation autour du programme nucléaire de l’Iran, l’intensité des relations mutuelles entre Moscou et Téhéran a augmenté de façon significative. A son tour, l’Iran tente lui aussi de jouer un rôle actif dans la région et en particulier, cherche à améliorer son statut au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai.
V. Poutine: L’Iran est un partenaire de longue date de la Russie. Nous sommes convaincus que la diminution de la tension autour de l’Iran après l’accord global sur le programme nucléaire de ce pays sera avantageuse pour les relations bilatérales.
Avant tout, nous avons l’intention de poursuivre l’élargissement de la coopération commercio-économique. Lors de ma visite en Iran le 23 novembre 2015 et de mes rencontres avec le guide suprême Ali Khamenei et le président iranien Hassan Rohani, j’ai été convaincu que les dirigeants iraniens partageaient vraiment cette approche.
Par exemple, nous sommes parvenus à augmenter le volume des échanges mutuels par des efforts conjoints. Selon le bilan des cinq premiers mois de l’année courante, le volume du chiffre d’affaires a fait de 855 millions de dollars en croissance de 70%.
Même à présent, la coopération russo-iranienne revêt un caractère stratégique dans une série de domaines. İl s’agit d’abord du travail commun en matière de l’atome pacifique. Sur la base des technologies russes a été construite la première centrale nucléaire Bushehr en Iran. Les plans sur la construction de 8 réacteurs par les spécialistes russes en Iran ont été approuvés.
La Russie aidera également l'Iran à mettre en œuvre son plan d'action concernant son programme nucléaire, y compris le traitement d'uranium enrichi et la conversion des installations fin de produire des isotopes stables.
La création d’une zone de libre-échange entre l'Union économique eurasiatique et l’Iran peut donner une forte impulsion aux relations commerciales et d’investissement Russie-Iran. Un groupe d’enquête conjoint chargé d’étudier les paramètres d’un accord possible a déjà lancé ses travaux.
Nous sommes également intéressés par le renforcement des relations de partenariat réciproque avec Téhéran. Nous le qualifions de facteur important du maintien de la stabilité et de la sécurité dans un vaste territoire – de l’Asie centrale au Moyen-Orient en passant par la zone Caspienne. Nous allons soutenir les efforts que l’Iran fait pour devenir membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai.
Journaliste : Ces derniers temps, on observe une très forte augmentation du terrorisme et de la violence dans le monde entier, y compris non loin des territoires de nos pays. A votre avis, que peuvent faire la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran pour assurer la sécurité globale et lutter contre les menaces ?
V. Poutine : Bien sûr, nous sommes préoccupés par l’existence de deux principaux foyers d’instabilité comme l’Afghanistan et le Proche-Orient à proximité immédiate des frontières de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de l’Iran. C’est de ces régions que vient la menace du terrorisme international et la criminalité transfrontalière, principalement liée à l’augmentation du flux de la drogue, la contrebande d'armes, le mouvement des hommes armées.
Je tiens à souligner que les récents actes terroristes commis dans différentes régions du monde montrent encore une fois qu’il n’est possible que lutter ensemble, sur la base des normes et principes du droit international et avec le rôle de coordination de l'ONU contre le terrorisme. Il ne doit pas y avoir deux poids, deux mesures, on ne peut pas diviser les terroristes en «bons» et «mauvais». Certes, toute tentative d’utiliser les groupes terroristes, radicaux et extrémistes pour ses intérêts politiques et géopolitiques est inacceptable et extrêmement dangereuse.
Voici les principes que nos pays promeuvent activement sur l’arène internationale et essayent d’élargir et renforcer au maximum la coopération multilatérale tant au niveau politique que par les organismes d’application de la loi et des services spéciaux.
A présent, on peut parler de l’établissement d’un dialogue étroit entre la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran en ce sens. Donc, nous coopérons avec Bakou dans le cadre du Centre antiterroriste de la CEI ainsi qu’au niveau bilatéral. İl y a un rapprochement de nos positions avec Téhéran dans des questions nécessaires. On observe des opportunités supplémentaires pour l’approfondissement de la coopération multilatérale antiterroriste via l’Organisation de coopération de Shanghai.
Nous menons avec nos partenaires iraniens une opération intitulée «Clean Caspian» pour limiter les canaux illicites du trafic de drogues. Le forum «Les cinq pays de la Caspienne contre la drogue» a un grand potentiel.
Je trouve qu’il y a de très bonnes opportunités pour l’élargissement de l’activité mutuelle en format tripartite contre le terrorisme et le trafic de stupéfiants.
Journaliste : Ces derniers temps, la Russie a intensifié ses efforts de médiation dans le règlement du conflit du Haut-Karabagh. Tout le monde le sait que c’était grâce à la médiation de la Russie qu’une trêve a été rétablie après l’escalade de la tension sur la ligne de contact en avril dernier. La Russie a également été initiatrice de la rencontre des présidents azerbaïdjanais et arménien tenue à Saint-Pétersbourg et qualifiée d’utile et efficace par les parties. Il y a une telle opinion que c’est notamment la Russie qui pourrait jouer le rôle clé dans la résolution du conflit au Karabagh. Êtes-vous d’accord de cet avis ?
V. Poutine : La Russie est liée à l’Azerbaïdjan et l’Arménie par des anciennes racines historiques, des relations stratégiques et la proximité géographique. Par conséquent, nous sommes intéressés par le fait que la paix et l’ordre soient rétablis dans cette région voisine, les gens n’y perdent pas leur vie, les frontières soient ouvertes et les relations économiques restaurées.
Nous faisons tout notre possible pour cela. Je tiens à évoquer un fait. Une trêve a été signée en mai 1994 à l’aide directe de la Russie et cet accord constitue la base du cessez-le-feu actuel. L’adoption de la déclaration de Moscou en 2008 a été une étape importante. Le document stipule que le règlement du conflit n’est possible que par voie diplomatique. A propos, c’est le premier et seul document sur le règlement du conflit du Haut-Karabagh signé par les présidents azerbaïdjanais et arménien. La Russie a également joué un rôle clé pour la cessation des hostilités d’envergure début avril.
Je tiens à souligner que nous ne tentons pas de faire accepter des recettes prêtes à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie. Les parties doivent tomber d’accord sans aucune influence étrangère, trouver une solution mutuellement acceptable. Telle est notre position finale.
L’obtention d’un compromis consiste à trouver un équilibre optimal entre les principes d’intégrité territoriale et de droit des peuples à l'autodétermination. Nous sommes conscients de la responsabilité des dirigeants azerbaïdjanais et arméniens. Nous saluons l'esprit constructif qui a prévalu au récent sommet sur le règlement du conflit à Saint-Pétersbourg, le 20 juin dernier.
Le but ultime du règlement doit être un accord dans lequel aucune des parties ne soit devenue vainqueur ou vaincue. Des concessions doivent être mutuelles, des avantages des deux parties doivent rendus publics tant en Azerbaïdjan qu’en Arménie.
Pour sa part, la Russie est prête à soutenir la solution qui satisfera toutes les deux parties et se présenter comme le garant du règlement avec d’autres médiateurs.
Je voudrais aborder un autre sujet. Parfois, on entend parler que la Russie veut monopoliser l’activité concernant le règlement du conflit du Haut-Karabagh et écarter les autres médiateurs de ce processus. C’est une fausse imagination. Les sommets tripartites sur le sujet du Karabagh en présence du président russe – au moins 20 sommets ont eu lieu – complètent les efforts du groupe de Minsk de l’OSCE dont les coprésidents sont la Russie, les Etats-Unis et la France. Je tiens à noter que les représentants américain et français étaient présents dans la partie finale du sommet tripartite à Saint-Pétersbourg.
En plus, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et le secrétaire d'État français aux Affaires européennes, Harlem Désir, étaient invités à la réunion des présidents azerbaïdjanais et arménien MM. Ilham Aliyev et Serge Sarkissian, organisée à l’initiative des Etats-Unis à Vienne le 16 mai dernier.
Cette approche est un exemple de la façon dont nous pouvons et devons travailler dans le règlement des conflits internationaux. J’espère que nous pouvons aider les parties à trouver une solution admissible pour tous.