Philippe Ekoziants : Je considère les demandes de Bakou envers la partie arménienne comme absolument légitimes - INTERVIEW
AzerTAg.az

Bakou, 24 février, AZERTAC
Les décisions sur ce qui devrait se passer dans le Karabagh devraient être prises par le gouvernement azerbaïdjanais. Le point de contrôle et les affaires sur le territoire de l’Azerbaïdjan doivent être effectués avec l’autorisation des autorités azerbaïdjanaises. Je considère les demandes de Bakou envers la partie arménienne comme absolument légitimes, a déclaré le scientifique et historien d’origine arménienne Philippe Ekoziants dans une interview exclusive à l’AZERTAC.
- Le président Ilham Aliyev a récemment rencontré le Premier ministre arménien Nikol Pachinian à Munich. Au cours de la rencontre, le président azerbaïdjanais a présenté un certain nombre de demandes à la partie arménienne. Nous aimerions avoir votre opinion là-dessus...
- J’ai pris connaissance des exigences de la partie azerbaïdjanaise et les considère comme absolument légitimes. Puisque le Karabagh est la terre de l’Azerbaïdjan, les décisions sur ce qui s’y réalisera devraient être prises par le gouvernement azerbaïdjanais. Le point de contrôle devrait être organisé de manière à ce que la partie azerbaïdjanaise puisse exercer un contrôle sur ce qui est introduit dans son territoire par le couloir de Latchine. Et les activités d’affaires sur le territoire de l’Azerbaïdjan doivent être menées avec l’autorisation des autorités azerbaïdjanaises.
- Erevan a réussi à convaincre autant de personnes que possible que la question du Karabagh est prétendument une question existentielle pour tous les Arméniens. Quelles sont les origines de cette thèse ?
- C’est de la propagande absurde. Que ceux qui font circuler cette thèse fassent au moins quelque chose pour que les Arméniens ne quittent pas l’Arménie elle-même et spécifiquement Erevan. L’exode de la population arménienne de la République d’Arménie est un problème existentiel. Les Arméniens doivent d’abord devenir propriétaires à part entière de l’Arménie et apprendre à la gérer (ce que je leur souhaite sincèrement sans être sarcastique du tout) puis proposer à l’Azerbaïdjan ou à la Türkiye une aide dans la gestion de leurs territoires.
- Vous étudiez depuis longtemps l’histoire des peuples du Caucase et vous êtes l’auteur de plusieurs livres et de dizaines de vidéos sur ce sujet. Selon vous, quel est le principal problème du peuple arménien qui, en raison de ses croyances historiques falsifiées, s’est retrouvé entre le marteau et l’enclume ?
- Il y a eu différents problèmes à différents moments : il y a eu des problèmes auparavant et il y en a d’autres aujourd’hui. La question est de savoir ce qui les relie ou, en d’autres termes, quelles sont les causes qui se répètent de siècle en siècle. Je pense que l’une des principales est l’activité politique criminelle d’une minorité influente. Chaque fois avant que le peuple se disant arménien ne soit plongé dans un tourbillon d’événements malheureux, une poignée d’Arméniens, apparait sur la scène historique et parle au nom de la nation entière sans avoir aucune autorité pour le faire. Nous avons vu des meliks, des prêtres et des politiciens dans ce rôle, qui ont pris des décisions préjudiciables au peuple et qui n’ont pas tenu compte des désirs des gens ordinaires. En fait, ils n’ont même pas pris la peine de demander leur avis. J’apprécie qu’ils n’aient pas tous voulu nuire à leur peuple, mais ça a été le résultat.
A mon avis, le peuple arménien a besoin d’un mécanisme qui lui donne la possibilité de prendre des décisions vitales de manière collective, pour ainsi dire, en tenant compte de l’avis de la majorité absolue, parce que les Arméniens n’ont pas de chance avec la minorité. Je parle du peuple arménien à la troisième personne car j’ai déjà fait partie de la diaspora à la troisième génération. Et la diaspora ne connaît pas les problèmes des habitants de l’Arménie moderne. Et la diaspora, à mon avis, est un peuple arménien complètement différent, ou, si vous préférez, un autre peuple arménien qui a des problèmes complètement différents. Mais c’est un sujet pour une conversation séparée.
- Comment peut-on changer la façon de penser des gens ? Avez-vous un concept ? Par où commencer ?
- Bien sûr, il faut commencer par l’histoire, et certainement par l’histoire exacte. L’histoire précise apportera aux Arméniens la compréhension que tous les peuples vivant à côté d’eux sont leurs proches parents. Les Arméniens, les Turcs et les Azerbaïdjanais ont été liés le long des siècles par des liens de parenté, qui ne pourraient être rompus qu’à l’aide de la propagande nationaliste. Et cette propagande a toujours été au service d’hommes politiques ou religieux devenus politiciens.
Au cours des 100 à 150 dernières années, la propagande a fait son travail et de nombreux peuples voisins se sont éloignés les uns des autres. Mais la propagande, aussi dure soit-elle, ne peut pas et ne pourra pas annuler le fait que nous avons un passé commun et des racines communes. Nous devons revenir à ces racines mentalement, nous devons les réaliser à travers une histoire précise. Après tout, nous sommes des personnes qui partagent les mêmes préoccupations, besoins, joies et peines humaines. Et il est beaucoup plus avantageux de partager quelque chose les uns avec les autres que de se séparer. Mais ce sont des espoirs…
Si les Arméniens et les Azerbaïdjanais veulent rétablir des relations de bon voisinage dans la situation actuelle, ils doivent peser très soigneusement même les décisions les plus insignifiantes, réfléchir bien sur chaque démarche et chaque parole. Et il est nécessaire d’être guidé dans vos décisions non par des ambitions ou des griefs, mais par les besoins urgents les plus courants des Arméniens et des Azerbaïdjanais. Encore faut-il vivre côte à côte. On ne peut pas s’éloigner l’un de l’autre. Et nous pourrions, au moins pour le plaisir de l’expérience, essayer de réfléchir non seulement sur nos problèmes et nos désirs. Nous devons essayer de considérer les problèmes du voisin comme les nôtres. Alors quelque chose de bien pourrait arriver dans un proche avenir.
Il me semble que le président Ilham Aliyev fait preuve de nouvelle idée à cet égard et affiche une attitude tout à fait raisonnable envers les Arméniens d’Azerbaïdjan. Et il est évident pour moi qu’il a l’intention d’assurer la sécurité des Arméniens vivant en Azerbaïdjan, tant au Karabagh qu’ailleurs, car c’est en fait nécessaire non seulement pour les Arméniens, mais aussi pour l’Azerbaïdjan lui-même en tant qu’État multinational et tolérant. Et le fait que tous les Arméniens vivant en Azerbaïdjan doivent avoir la citoyenneté azerbaïdjanaise est une exigence naturelle et logique. En fait, il n’y a rien à discuter ici.
- Comment évaluez-vous l’idée que les Arméniens et les Azerbaïdjanais vivent ensemble au Karabagh ?
- L’idée que les Arméniens et les Azerbaïdjanais vivent ensemble est logique et correcte du point de vue de l’histoire exacte. Et nous en avons l’expérience. Cette expérience a été positive, à l'exception de quelques courtes périodes.
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