POLITIQUE
Gouverner c'est prévoir: comment éviter un autre conflit dans le Caucase Sud
Paris, 17 septembre, AZERTAC
Le Huffington Post a publié l’article « Gouverner c’est prévoir : comment éviter un autre conflit dans le Caucase du Sud » de Patricia Lalonde, secrétaire générale de l’ONG MEWA, chercheuse à l’ISPE. Dans son article, elle parle du conflit du Haut –Karabagh. Nous vous présentons l’intégralité de cet article :
Des bruits de bottes se font entendre dans un Caucase du Sud pour le moment loin de l'attention des médias et qui pourraient être une nouvelle source de conflit. Et si le Caucase du Sud devenait un nouveau point de friction entre la Russie et l'Occident?
Depuis le début du conflit ukrainien, les risques de confrontation entre l'Occident et la Russie augmentent et se déplacent vers le Caucase du Sud, en Georgie, Arménie, Azerbaïdjan. C'est l'analyse des experts de Stratfor, un important groupe de renseignement privé et d'analyses stratégiques américain.
Le vieux conflit au sujet du Haut-Karabagh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan reste en sommeil depuis plus de vingt ans, malgré les drames vécus par les personnes déplacées et les réfugiés bien peu médiatisés en Europe. Il risque de resurgir et de participer lourdement à la déstabilisation du Caucase à l'avenir, si nos hommes politiques se contentent uniquement de "réactions" au lieu d'essayer de prévenir le conflit.
Revenons aux origines de ce conflit: le territoire du Haut-Karabagh qui appartient légalement à l'Azerbaïdjan, a été annexé par l'Arménie après une guerre sanglante qui a jeté sur les routes 1 million de réfugiés qui ont fui les combats; les réfugiés azéris ont dû tout quitter, après l'affreux massacre de Khojaly perpétré par les Arméniens. Jusqu'à aujourd'hui, les Nations-Unies n'ont pas reconnu le Haut-Karabagh comme terre arménienne, mais toujours comme territoire azéri.
Lors d'une mission en Azerbaïdjan menée avec d'autres analystes au cours de laquelle nous avons pu visiter les camps de réfugiés ainsi qu'interroger des ONG, les autorités responsables des déplacés, nous avons pu constater à quel point les plaies du conflit autour du Haut-Karabagh étaient encore vives; les nombreux réfugiés et les personnes déplacées, même s'ils sont relogés, et pris en charge par l'Etat, ne rêvent pour la plupart que d'une chose: retourner vivre sur leurs terres du Haut-Karabagh. C'est un sentiment que Bakou ne peut ignorer et qu'on aurait tort de considérer comme secondaire: ces réfugiés ont été expulsés par la force, d'une façon brutale et souvent barbare, mais comme d'autres réfugiés de par le monde, cela les amène à se définir de façon encore plus forte par rapport à leurs terres.
Les femmes sont les principales victimes de ce conflit puisqu'elles ont soit perdu un mari, un frère ou un fils pendant la guerre, soit sont restées sans nouvelles de leurs proches. Ces derniers sont maintenant classés dans les archives des autorités dans le dossier "personnes disparues". Il est important en parlant des réfugiés en Azerbaïdjan, de noter comment le gouvernement azéri a géré cette situation de crise en réussissant à intégrer le mieux possible ces personnes réfugiées et déplacées.
Bakou a pris très au sérieux la situation des Azéris déplacés et a beaucoup agi pour alléger leurs souffrances, notamment grâce à l'argent de la manne énergétique; des aides pour obtenir une parcelle de terrain agricole ont par ailleurs été données pour tous ceux qui comme dans la région de Saathli, sont arrivés des montagnes du Haut-Karabagh, le but étant d'aider certains d'entre eux à retrouver un environnement "naturel" leur permettant de se réintégrer au mieux dans la vie économique du pays. Sur ce point, on peut considérer que l'Azerbaïdjan a agi en pays responsable, un exemple à suivre pour des régions dans une situation équivalente.
Il est urgent de faire appel à la diplomatie et dans le cas de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie, en partie à la Russie afin de pouvoir régler ce conflit de façon pacifique.
La Russie n'a pas besoin d'un nouveau conflit dans le Caucase du Sud qui ne profiterait qu'aux extrémistes déjà en embuscade. Un Caucase du Sud apaisé, c'est encore la meilleure façon d'aider un Caucase du Nord toujours agité par une rébellion séparatiste et en partie djihadiste.
Contrairement à ce que disent bien des analystes occidentaux, Moscou sait se montrer raisonnable, surtout quand ses intérêts sont en jeu. Et déjà sur le conflit ukrainien, la Russie a récemment changé de ton puisque l'Ukraine reconnaît que les accords de Minsk ainsi que le cessez-le-feu sont dorénavant respectés... Ce qui provoque d'ailleurs la colère des groupes nationalistes mais montre aussi que la Russie peut évoluer quand on prend en compte ses intérêts. Il serait intéressant de discuter avec le Kremlin dès maintenant de la question du Caucase du Sud, de prendre en compte les intérêts russes tout en poussant à un règlement du conflit qui prenne en compte toutes les souffrances, y compris celles des réfugiés azéris.
L'électrochoc de la vague de réfugiés cherchant abri en Europe va ainsi peut-être permettre à tous nos dirigeants de prendre conscience qu'une diplomatie bien menée est la meilleure solution aux résolutions de conflits et au drame des réfugiés.
Peut-être une lueur d'espoir?