POLITIQUE
Le journal « Le Monde » parle du rêve de retour des déplacés azerbaïdjanais du Haut-Karabagh
Paris, 19 novembre, AZERTAC
Le journal « Le Monde » a publié un article intitulé « A Bakou, le rêve de retour des déplacés du Haut-Karabakh » qui parle des rêves de retour des centaines de milliers de déplacés azerbaïdjanais dans leur terre natale après la fin du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
L’AZERTAC présente le texte intégral de cet article :
« La fin de l’exil pourrait se faire attendre pour six cent mille Azerbaïdjanais désireux de retrouver leurs villages détruits
Karabakh est synonyme de retour. L’Azerbaïdjan a vécu les vingt-six dernières années dans une tension vers l’Ouest, vers un territoire perdu et dont la reconquête est à la fois une religion d’Etat et un élan sincère. Au moins 600 000 Azerbaïdjanais ont été chassés du Karabakh au début des années 1990, au cours des nettoyages ethniques croisés survenus en Arménie et en Azerbaïdjan. Nombre l’entre eux rêvent d’y retourner, dans la foulée des récents combats et de la reprise par Bakou d’une grande partie de l’enclave, entérinée par le cessez-le-feu signé le 9 novembre avec Erevan sous l’égide de Moscou.
L’immense majorité de ces déplacés a dû fuir dans l’urgence en 1993, alors que les forces arméniennes conquéraient les villes et les villages à majorité azerbaïdjanaise des sept districts entourant le Haut-Karabakh. Une toute petite minorité clairvoyante et disposant de relations a réussi à échanger des logements avec des Arméniens chassés d’Azerbaïdjan.
La volonté de revanche et de retour n’est compréhensible que si l’on tient compte des circonstances du départ. « Les Arméniens sont arrivés le 13 août vers 18 heures dans notre village », se souvient Ulkar Allahverdiyeva, 78 ans. « Leurs tanks tiraient sur nos maisons. Je tremblais de peur, c’était terrifiant.
Nous avons dû fuir sur le champ. Nous avons juste eu le temps de prendre la voiture. Je n’ai même pas eu le temps de prendre les bijoux ni les passeports. Mais j’ai pris ce tapis que vous voyez au sol. Je me souviens d’avoir fermé la porte de ma maison à clé, c’est tout. Pendant la fuite, notre voiture est morte, nous avons dû poursuivre à pied pendant trois jours. »
Aujourd’hui, Mme Allahverdiyeva habite avec quatre membres de sa famille un taudis de deux pièces dans un faubourg de Bakou.
« Nous avons construit la maison nous-mêmes, en 2006 », annonce-t-elle fièrement, pendant que sa belle-fille sert le thé traditionnel. Ulkar Allahverdiyeva ne lâche pas des mains un cadre dans lequel sont juxtaposées sept photographies. « Mon mari, mon fils et mon neveu », désigne-t-elle du doigt. « Ils ont ensuite pris les armes et combattu. Et ils sont morts. Ce sont des chahids [martyrs]. »
A l’époque, elle ne s’imaginait pas ne jamais revoir sa maison. Son village de Horovlu a été entièrement détruit, comme la centaine de villages azerbaïdjanais du Karabakh. Mais jamais elle n’a douté qu’elle reviendrait sur la terre de ses ancêtres. « J’avais confiance et j’ai toujours confiance aujourd’hui dans notre gouvernement. Nous remercions le président [Ilham Aliev] pour la victoire et nous attendons l’autorisation de retourner sur nos terres », récite la vieille dame.
Le désir de retourner dans le Karabakh semble sincère, mais les modalités de retour sont nimbées de brume. « Nous n’avons rien pour reconstruire nos maisons, se plaint Ulkar Allahverdiyeva. « Nous n’avons pas d’argent. Nous rentrerons quand le président va tout reconstruire », croit-elle, en dépit du fait que le gouvernement ne l’a jamais relogée durant ses vingt-sept années d’exil intérieur. Et si l’Etat n’était pas en mesure de reconstruire rapidement son village ? La vieille dame lâche d’une voix blanche : « Nous attendrons, nous sommes patients. »
« Ils ont tué mon mari, mon fils »
A l’idée de cohabiter avec des Arméniens dans le Karabakh, Ulkar Allahverdiyeva se ranime pour protester. Sa belle-fille Panara acquiesce. « Pas après ce qu’ils nous ont fait. Ils ont tué mon mari et mon fils. » Elle se remémore que dans son village de Horovlu, « il n’y avait aucun Arménien. En revanche, il y en avait dans les douze autres villages des alentours. Les Arméniens travaillaient à nos côtés, il n’y avait pas de tensions. Ceux qui vivaient avec nous étaient normaux. Ils venaient à nos mariages, nous étions invités aux leurs ».
Mehriban Gulieva, sa fille, rejoint la conversation et ne cache pas son enthousiasme. « Tous trouveront du travail là-bas et veulent redémarrer une nouvelle vie. » Elle cite l’exemple de Cocuq Marcanli, un village vitrine de 150 maisons individuelles construit en 2016 par le gouvernement pour redonner confiance aux déplacés du Karabakh. La discussion se poursuit sur le désir supposé des plus jeunes de quitter la ville pour retourner dans un Karabakh en ruines. Gounaï, 25 ans, une des petites-filles d’Ulkar, paraît dans la minuscule cuisine. Elle poursuit des études d’infirmière et confirme partager la volonté de son aïeule. «Je me plais à Bakou, mais je partirai certainement à Horovlu, où je travaillerai comme infirmière », glisse-t-elle timidement avant de s’éclipser. Soudain, un homme sexagénaire surgit dans la cuisine. C’est un voisin et un parent de la famille Allahverdiyev. Hors de lui, il hurle : « Ils ont déterré le cercueil de mon père ! Passe encore qu’ils aient brisé les tombes, mais qu’avaientils besoin d’ouvrir les cercueils au bulldozer et d’exposer sa dépouille au soleil ! » Rakhman met un certain temps avant de retrouver son calme, puis explique avoir reçu à l’instant même un appel de son neveu, soldat dans l’armée azerbaïdjanaise. Le neveu vient de visiter Horovlu et lui a décrit l’état du village.
Pas découragé, Rakhman, autrefois électromécanicien, n’attend que de pouvoir rentrer dans son village et ne doute pas de ses forces pour reconstruire une maison à étage. D’un naturel enjoué et énergique, Rakhman tient absolument à montrer son logement. « Je l’ai construit tout seul », se flatte-t-il, en désignant une bicoque un peu plus spacieuse que celle des Allahverdiyev. Pour modeste qu’il soit, l’objet de sa fierté semble exciter l’envie des dizaines de familles logeant dans l’immeuble insalubre en face, qui abrite aussi des déplacés du Karabakh. Un homme émerge de l’immeuble pour venir saluer son voisin et apprend la nouvelle du cimetière profané. Eltchin Gousseinov, 39 ans, entre aussitôt en rage.
« Les Arméniens ont saccagé nos terres pendant trente ans ! Maintenant, ils brûlent les maisons en partant ! Ils doivent payer pour tout ce qu’ils ont détruit. » Au lendemain de l’accord de cessation des hostilités, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a menacé l’Arménie d’une plainte devant « une cour internationale » pour « la destruction de presque 99 % des territoires libérés » au Karabakh. Le parquet général a déjà évoqué la somme improbable de 50 milliards de dollars.
L’Azerbaïdjan réfléchit depuis longtemps à l’effort de reconstruction. Une étude commandée en 2015 par le gouvernement estimait son coût à 30 milliards de dollars, un chiffre cité depuis comme référence par les médias.
La somme est à rapporter au budget annuel de l’Etat (23 milliards de dollars en 2019) et au PIB (49 milliards de dollars en 2019). « C’est un effort colossal pour l’économie », juge Avaz Hasanov, président de l’Union publique de recherche humanitaire et spécialiste du dossier. « Par exemple, au cours des dix dernières années, nous n’avons pu construire des logements décents que pour la moitié des déplacés intérieurs. »
« Nos réserves se vident »
Pour M. Hasanov, il faut former une coalition de donateurs internationaux et garantir un plan de reconstruction englobant le Haut-Karabakh, où vit une majorité d’Arméniens. Les deux risques principaux, selon l’expert, sont la présence des « forces de maintien de la paix » russes dans le Karabakh, agréée dans l’accord de cessezlefeu, qui sont synonymes de « conflit gelé (…) et font fuir les fonds occidentaux », et la fin de la rente pétrolière. « Nos réserves se vident rapidement et notre opulence prendra fin au plus tard en 2037. »
« Le temps est le principal défi », confirme la conflictologue Nazrin Gadimova Akbulut, de l’université Kadir Has d’Istanbul.
Mais dans le sens contraire : « La plupart des territoires [du Karabakh] sont fortement minés et les gens ne réalisent pas combien de temps sera nécessaire pour qu’il soit possible d’y vivre totalement en sécurité. Il est urgent d’être prudent. »